Conséquences

On raconte à l’envie que la mort n’est pas drôle. On se trompe. Il n’y a rien de plus marrant que la mort : Qu’une fourmi se fasse fouler au pied ; qu’un chat en traversant passe sous une voiture – une belle berline neuve qui ne demandait qu’à se prendre des entrailles dans le radiateur – ; qu’un chien errant finisse piqué par les services de la ville : il avait mordu Jérôme-le-clochard, son « maître » qui lui-même finira dans un caniveau, aussi pénible qu’il l’a toujours été de son vivant, ne laissant derrière lui qu’une légère trace de vomi puant la villageoise ; que ton grand-père trépasse, aussi moisi que ses vieux livres (connaissance morte s’il en est) ; que sa femme – en secondes noces, il l’a connue à l’occasion de ses noces d’or : 80 ans le bonhomme, et toujours aussi vivace – ne supporte pas d’être seule et se laisse décrépir ad mortem, uniquement entourée de ses chats (sauf Raoul, bien sûr, qui s’est fait écraser bêtement en traversant la route, par une belle voiture toute neuve qui ne demandait que ça) ; que ton oncle, militaire – il raconte à qui veut l’entendre ses guerres, comment il a obtenu sa croix du combattant en chargeant, seul face à une légion d’ennemis, dans les montagnes du Sahel ; tout le monde sait qu’il est resté à l’arrière, mais l’écoute avec la bienveillance qu’on accorde à un radoteur de 90 piges dont on n’attend plus que la bisannuelle lettre d’étrennes (à l’anniversaire et au nouvel an) – décède la gueule ouverte, la queue dans la bouche d’une putain ukrainienne à Djibouti, au bel âge de 43 ans ; que ta mère et sa sœur  (son mari vient de mourir au combat, à Djibouti) qui conduisaient une berline neuve, après avoir écrasé Raoul le chat, ne trouvent rien de plus intelligent à faire que d’aller se foutre en l’air contre un arbre, le long de l’avenue des Saules à Clamart, juste à côté du cimetière, au beau milieu de la forêt de Meudon ; que ta petite sœur que tu n’auras jamais connue soit passée de vie à trépas deux jours après sa naissance – on te l’avait caché, tu ne l’as appris qu’hier, à l’avant-veille de ta propre mort, de la bouche de ton père qu’un cancer de la prostate réduit petit à petit à l’état de légume ranci d’avoir trop baigné dans le beurre – ; que ton meilleur ami, un clochard dénommé Jérôme, emmerdeur de première, mais il a fait toute ton éducation, petit morveux, t’apprenant les étoiles et les putes, la poésie et les cuites, ne se soit jamais remis du décès de son fils Guillaume, ton amant d’un soir que ton rejet le lendemain avait conduit au suicide ; que toi-même, souffrant d’une leucémie foudroyante, doive mourir demain d’un arrêt cardiaque, causé par une frénésie masturbatoire, causée par la vision fugace d’un infirmier canon ; la mort n’est rien de plus que le retour de la chair à son état primaire : amas d’atomes décousu et absurde. Vis ta vie maintenant !


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