Prolégomènes au Dégueulis

Sa soirée commençait bien : la veille, Sarah avait enfin reçu le corset qu’elle s’était fait fabriquer sur mesure par un artisan hongrois sous-payé ; il compléterait à merveille sa tenue steampunk. Elle avait aussi appris la mort – subite – de sa tante, celle-là même qui l’avait élevée comme sa fille après sa fugue sur Paris. Ce matin, le coup de fil de son boss avait fait résonner “pépètes !” jusqu’au fond de son gosier. Elle avait bien passé quatre heures à le résoudre, le problème merdique : ça rembourserait le corset. Elle s’était avachie devant des vidéos de chats – puis de chiens – sur internet, avait lu trois pages de Tolstoï pour se donner bonne conscience, fumé un paquet de clope puis mangé des sushis ; ce soir, elle sortirait !

Le point de contact, c’était la Fange : des caves à l’ancienne, cette odeur qui vous collait au corps jusqu’au lendemain matin, et sa meilleure pote Flora qui était enfin sur Paris après des mois d’absence. Elle allait s’éclater, étrenner son corset, vider deux autres paquets et rencontrer un chien qui la fasse rire un peu. Elle venait de se refaire son mois avec les coup de fil du boss, elle pouvait même payer sa tournée ! Elle y fut dès 20h. C’est con. À 20h, c’est complètement mort, la Fange. Et sa collègue qui est toujours en retard ne serait pas là avant 22h. Elle ne se laissa pas démoraliser : une pinte pour commencer (à trois euros il faut en profiter), un séjour dans le fumoir pour entamer le paquet et trouver un mec canon, et une heure passée à danser devant le bar.

21h, c’était l’heure de deux-trois clopes de plus. Et un jager-bomb. Ce soir, elle trouverait l’amour. Le gonze de tout à l’heure s’était enfui avec ses BFFs pour une crêpe. Il ne reviendrait probablement pas. Une vieille donnait des sucettes aux mecs près de l’entrée, une nana – qu’est-ce qu’elle foutait là celle-ci ? Probablement pas majeure la meuf ! – essayait de rassembler ses colocs pour leur faire boire des shots, une autre, topless, avait plongé dans la piscine à bulles et déjà la file pour les toilettes atteignait des dimensions dantesques. Le fumoir, il était bondé. L’occasion de caresser quelques culs en se cherchant une place. Assise entre un goth et une keupon, elle pouvait allumer sa Malbak et dé-suer un peu. En passant, elle donnait un petit massage à son voisin et buvait les shots de la prépub’.

Après ses trois shots trois clopes, elle se levait pour prendre un peu l’air. Pas question de sortir, Flora pourrait arriver à tout moment. Elle retourna au bar, tchatcha un peu avec Solène la nouvelle serveuse, repris un jager-bomb pour faire passer les shots, embrassa un inconnu et plongea rejoindre la meuf torse-poil dans la piscine. Là elle voyait les autres déambuler comme des pingouins d’une salle à l’autre, du fumoir au comptoir, et riait de leur démarche bruyante. La fille tentait de l’approcher, un regard cinglant et une tape de la main suffirent à la repousser. Déjà, elle bondissait hors du bain et sautait dans les bras décontenancés de son amie. “Flora ! Ça fait un bail, tu m’évites où quoi ? Je sais, je sais, t’étais pas en France, mais c’est pas une raison, t’aurais pu m’appeler quand même. Viens je te paye un verre.”

Après une bière, de longs souvenirs échangés, un tour à la barre de pole et trois mecs rejetés, elle s’était embrouillée avec le mec du type de tout à l’heure, celui qu’elle avait embrassé à l’improviste. Il s’en était suivi une tentative dérisoire d’explication avec les videurs, une litanie de menaces vaines, une autre garo et quelques larmes sur le trottoir et elles avaient décidé de bouger. Ce serait l’IGN. Pas trop loin, mais suffisamment pour décuver un peu, une bonne ambiance et plein d’autres bars à côté au cas où. Dans la rue, elle siffla un mec qui la dévisagea d’un air ahuri, raconta sa journée à Flora, failli se prendre une caisse pour se faire rattraper au dernier moment par le col, sauta à pieds joints dans une flaque d’eau parce que Charlie ! que ça fait du bien !

Vers 23h30 les deux étaient au bar. Pas l’IGN, elles avaient soif, elles s’étaient arrêtées en route. Le Fleuve qu’il s’appelait, le pub. Le serveur, canon, leur faisait des coktails surprise : le premier s’appelait space-cookie, et le second french corsica bomb. Profitant que trois mecs venaient de sortir fumer, elles s’incrustèrent dans la conversation – ça parlait de GoT, forcément Sarah devait rajouter sa citation de Dany.  Quand ils avaient fui, elles s’étaient rendues aux chiottes pour profiter un peu de la poudre de Flora. De quoi se redonner du poil de la bête. Elles étaient restés encore le temps de deux shots – tournée de la patronne – avant de retourner vers l’IGN. Qu’elles dépassèrent allègrement d’ailleurs : elles finirent au MAC au milieu d’une soirée anniversaire.

Il y avait deux mecs au comptoir qui commandaient pour le reste, et un bon vieux Rammstein en fond. Elles se concentrèrent sur la musique, jusqu’à ce que le barman  leur demande d’arrêter de jouer de la batterie sur le comptoir, et commandèrent un whisky. Le temps d’une clope, Flora avait serré Jos – l’un des deux qui payait les coups. Sarah se sentait l’âme philosophe, et commençait avec l’autre (Matthieu) une longue digression sur l’influence de la pensée Jésuite sur la politique macronienne. Le pauvre suivait de ses yeux hagards les mouvements de son décolleté à mesure que ses gestes exprimaient sa passion. Elle but et offrit des coups, fini son paquet et en ouvrit un second, et bientôt les fêtants sortaient pour retourner sur Saint-Michel. Il était 5h.

Sous l’invitation de Jos, Sarah et Flora suivaient le groupe. Matthieu exprimait en détail son expérience de la capote, pourquoi après tant d’emmerdes il avait décidé d’arrêter. “Après tout, pourquoi ce serait toujours aux hommes de fournir les efforts ? Vous pouvez prendre la pilule, aussi.” Il racontait ses premières blessures, il était attachant. Et pour Sarah, sa voix était douce. Elle se rapprochait petit à petit de lui. Arrivés devant le dernier bar, elle l’embrassa. Ils restèrent collés quelques heures. Puis il fut fatigué. Ils échangèrent leurs numéros. Il rentra. Elle rentra. Elle chercha à dormir chez sa tante : c’est plus proche. Elle marcha deux heures. Elle se perdit. Elle vomit.


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